«La situation des mineurs chiliens s'apparente à celle des vols spatiaux»

LIBERATION

Par SYLVAIN MOUILLARD


(REUTERS/Chilean Mining Ministry/Handout)
Des experts de la Nasa ont commencé mardi à aider à l'opération de secours de 33 mineurs bloqués depuis 26 jours au fond d'une mine du Chili. «C'est important de ne pas construire de faux espoirs et d'être le plus honnête possible avec nos patients, dans ce cas précis, les mineurs», a expliqué le Dr Michael Duncan.
Il est essentiel de ne pas fixer de date de sortie, a-t-il ajouté, à l'image des longs programmes d'entraînement des astronautes, où aucune date précise de retour sur la Terre n'est avancée en raison des problèmes techniques pouvant la retarder. Selon les autorités chiliennes, l'opération de secours pourrait durer de trois à quatre mois.
Claude Gronfier, chercheur au laboratoire de chronobiologie de l'Inserm à Lyon, a mené des études aux Etats-Unis - financées par la Nasa - sur les effets du manque de lumière sur l'horloge interne. L'objectif: mettre au point des techniques pour optimiser les rythmes biologiques humains aux vols spatiaux, et soigner les troubles qui peuvent en résulter. La situation des 33 mineurs chiliens, bloqués pour de longues semaines sous terre, l'intéresse donc particulièrement.
Des personnes de la Nasa ont été sollicitées pour conseiller les sauveteurs au Chili. En quoi leur expérience peut-elle être utile?
Ils connaissent bien les symptômes apparaissant dans des situations à très haut niveau de stress et d'isolement social. Plus largement, la situation des mineurs chiliens est très proche des conditions des vols spatiaux et des études que l'on a déjà mené sur le thème de l'horloge interne.
De quoi s'agit-il?
Il s'agit de l'horloge biologique que l'on possède au cœur de notre cerveau. En moyenne, l'horloge interne humaine fonctionne selon un rythme allant de 23h30 pour les couche-tôt à 24h30 pour les couche-tard. Cette horloge a donc besoin d'être remise à l'heure pour rester en synchronie avec la journée solaire de 24 heures. Ceci s'effectue grâce à la lumière principalement. Au Chili, les mineurs sont soumis à une très faible intensité lumineuse qui risque d'être insuffisante pour remettre leur horloge à l'heure. Même si les 33 ont des notions de l'heure, cela ne suffira pas à les synchroniser à la journée de 24 heures.
Quelles sont les conséquences d'une horloge désynchronisée?
Prenons un exemple, quelqu'un ayant une horloge biologique avec un rythme de 24h30. Cela signifie que tous les jours, en l'absence de remise à l'heure par la lumière, son horloge va prendre trente minutes de retard. Il va donc quotidiennement se coucher une demi-heure plus tard. Tous les processus biologiques contrôlés par son horloge vont être décalés de la même manière.
En 24 jours, cela signifie que l'horloge de cette personne aura 12 heures de retard par rapport à l'heure réelle. Si elle essaie de se coucher à minuit, il sera midi à son horloge interne, et elle n'arrivera donc pas à s'endormir. Ce phénomène est sûrement déjà apparu chez certains des mineurs. Ceux qui ont une horloge proche des 24 heures n'auront pas trop de soucis. Mais les autres vont progressivement perdre leur synchronisation.
Quelles sont les problèmes les plus visibles risquant d'apparaître?
D'un point de vue individuel, des troubles du sommeil et de l'humeur, une veille de mauvaise qualité, des troubles de la mémoire, des difficultés à analyser les problèmes, de l'anxiété. Cela peut aussi entraîner des troubles métaboliques, en partie liés à la dette de sommeil: obésité, problèmes cardiovasculaires, altération du système immunitaire. D'un point de vue collectif, cela peut affecter la cohésion du groupe. Un accrochage banal peut être très mal géré et créer de fortes tensions en raison des troubles du sommeil.
Ce phénomène a été observé très précisément par la Nasa en 1997, lors du programme Sojourner, qui consistait à envoyer deux robots sur Mars. La journée martienne est de 24 heures et 39 minutes. On a donc demandé aux ingénieurs de décaler leur journée de 39 minutes par jour. Leur horloge a été rapidement désynchronisée du rythme solaire terrestre - 24 heures. Des tensions sont apparues entre les ingénieurs, et la mission a même failli échouer.
Enfin, vis-à-vis de l'extérieur, les relations avec des gens désynchronisés peuvent engendrer des tensions et des incompréhensions. On peut notamment avoir l'impression que la personne ne vous écoute pas, ne vous comprend pas. C'est normal, si elle est au beau milieu de sa nuit biologique.
Quelle aide les sauveteurs peuvent-ils apporter aux 33?
Il va leur falloir expliquer aux mineurs que ces troubles chronobiologiques - qui ne manqueront pas d'apparaître - sont normaux. Il faudra apprendre à vivre avec. Une des solutions consiste à optimiser la régularité de leurs activités - repas, toilette, exposition à la lumière. Il faut éviter que chacun vive selon son propre rythme pour favoriser la cohésion du groupe, et optimiser la synchronisation de l'horloge.
Peut-on les aider resynchroniser leur horloge?
On peut le faire avec des lampes qui fournissent une lumière artificielle de haute intensité, de lumière blanche ou de spectre optimisé dans le bleu. Mais les sauveteurs ne seront sans doute pas en mesure de les descendre sous terre. On peut aussi envisager d'utiliser de la mélatonine, une hormone à l'effet synchroniseur. Elle se présente sous forme d'un médicament, qui pourrait être transmis aux mineurs. Elle est actuellement utilisée avec succès chez les aveugles pour synchroniser leur horloge biologique en l'absence de lumière.

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