Vargas Llosa, le Nobel inattendu
NouvelObs
PAR JONATHAN REYMOND (ÉTUDIANT EN JOURNALISME)
Comme tout secret bien gardé, l'attribution du prix Nobel de littérature fait chaque année l'objet de toutes les curiosités. Les jours qui précèdent, on assiste au ballet des calculs hasardeux et autres hypothèses improbables. Rares (hormis ce blogueur perspicace qui avait prévu l'imprévisible, c'est-à-dire Herta Müller, en 2009) sont ceux qui visent juste, comme si le jury prenait un malin plaisir à prendre le contrepied des rumeurs les plus insistantes.
Cette année, l'Afrique était ainsi au centre de cette valse des conjectures. Très peu représentée au palmarès, d'aucuns estimaient normal qu'un auteur africain soit honoré, alors que le salon du livre de Göteborg était consacré au continent noir. Le prix semblait promis à l'algérienne Assia Djebar (car les femmes avaient aussi la cote cette année), voire au kényan Ngugi wa Thiong'o. Raté ! Les pronostiqueurs de la planète Nobel ont manqué leur cible de quelques dizaines de milliers de kilomètres. Ce n'est pas la première fois. L'an dernier, ils s'étaient aussi trompé : il avaient prévu que le prix irait à... Mario Vargas Llosa.
L'Académie Nobel a souvent récompensé des auteurs engagés et à ce titre la nomination de Vargas Llosa le sartrien ne constitue assurément pas une surprise. Le « Figaro » rappelle cette profession de foi affichée sur les murs de la Maison de l'Amérique latine à Paris, où une exposition lui est consacrée : « Il faut rappeler à nos sociétés que la littérature, c'est comme le feu, qu'elle signifie dissidence et rébellion, que la raison d'être de l'écrivain est la protestation, la contradiction, la critique. »
La plupart des observateurs estimaient cependant que les positions très libérales de l'auteur s'érigeaient en barrière à une telle reconnaissance. Candidat malheureux de la droite libérale à l'élection présidentielle péruvienne en 1990, il s'en était par exemple pris au président péruvien Alan Garcia dans une lettre ouverte qui avait fait beaucoup de bruit. Il s'opposait alors à un décret de loi sur la condamnation de crimes contre les droits de l'homme et avait été jusqu'à démissionner de son poste de président du musée de la Mémoire, geste hautement symbolique qui avait beaucoup secoué l'opinion publique.
Certes, il a opéré ces derniers temps un repiquage en douceur sur le centre-gauche, comme il le laissait entendre dans un entretien donné en septembre au « Nouvel Obs ». Mais après Günter Grass en 1999, l'antilibéral farouche qui fustigeait même le bon Helmut Kohl ; après Harold Pinter en 2005, qui s'était opposé à l'engagement britannique en Irak ; après Orhan Pamuk en 2006 qui appellait à la communication humaniste entre les deux rives du Bosphore, ce revirement de Vargas Llosa laissait beaucoup d'observateurs dubitatifs quant à ses chances de séduire les grands gauchistes de Stockholm. Souvenons-nous que les positions gaullistes de Malraux l'avaient condamné aux yeux du jury suédois. Alors quelqu'un qui trouve des qualités à Berlusconi...