Picasso, les derniers mystères
Le Point
Par Marion Cocquet
271 oeuvres de Picasso, non répertoriées, ont été découvertes © AP/Sipa
"Lorsqu'on découvre un Picasso non répertorié, la nouvelle fait le tour du monde. Deux cent soixante et onze oeuvres surgies de nulle part, c'est une affaire historique." Jean-Jacques Neuer, l'avocat des héritiers de Pablo Picasso qui viennent d'authentifier des dizaines d'oeuvres inconnues jusqu'alors, le sait : malgré l'opacité qui l'entoure encore,"l'affaire" révélée par le quotidien Libération dans son édition du lundi 29 novembre est sans précédent.
Selon les informations du journal, l'histoire débute avec un courrier, reçu le 14 janvier 2010, par Claude Picasso, fils du maître et responsable de la Picasso administration, d'un inconnu, qui lui demande d'authentifier 26 oeuvres dont il lui envoie la photographie. Inconnues à l'inventaire de la succession. "D'autres photos suivent. Assez curieusement, l'émissaire envoie les reproductions par saccades, écrit Libération. Trente-neuf nouvelles prises de vue en mars, trente en avril. Des clichés toujours médiocres. Et de sources de plus en plus opaques, puisqu'ils ne correspondent à aucune oeuvre référencée."
Don ou recel
Rendez-vous est pris début septembre avec Claude Picasso, son assistante Christine Pinault et les auteurs de ces demandes : un couple de septuagénaires, les Le Guennec, qui leur présentent 175 oeuvres, transbahutées des Alpes-Maritimes à Paris dans une valise-cabine. Parmi elles, neuf collages cubistes, extrêmement rares, des carnets de dessins, des esquisses, des études de main sur toile. "L'ensemble est d'une importance majeure dans l'histoire de l'art, il constitue un véritable fonds", souligne Me Neuer.
Comment s'est-il trouvé entre les mains de Pierre Le Guennec ? L'homme, électricien à la retraite, a fait plusieurs travaux dans différentes résidences azuréennes du peintre. "Il nous a d'abord dit que Picasso lui avait donné ces oeuvres, mais sans plus de détails", raconte Christine Pinault. "Claude, lorsqu'il a eu la certitude que ce n'était pas des faux, leur a posé des questions : pourquoi vous, pourquoi autant, pourquoi à ce moment-là... D'ordinaire, les gens qui ont connu Picasso en sont fiers, ils se souviennent des circonstances, d'anecdotes liées à la rencontre. Là, rien, souligne-t-elle. Du reste, la version des Le Guennec a changé entre-temps, puisqu'ils ont affirmé ensuite que c'était la dernière épouse de Picasso, Jacqueline, et non le peintre, qui leur avait fait ce cadeau." L'hypothèse d'un don ne convainc pas les héritiers du maître, qui rappellent que Picasso répertoriait absolument toutes ses oeuvres.
Plainte contre X
Le 2 septembre, une plainte est déposée contre X, pour recel. "Passé l'émotion de la découverte, nous avons été très inquiets à l'idée que ces oeuvres puissent être endommagées, perdues ou séparées", explique l'assistante de Claude Picasso. Elles dorment, depuis le 5 octobre, dans une chambre forte de l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels.
Pour la Picasso administration, l'enjeu est désormais qu'elles puissent réintégrer au plus vite leur place dans l'oeuvre intégrale du maître. "Nous allons demander à la justice le droit de faire une campagne de photos, afin de pouvoir les inscrire rapidement à l'inventaire", explique Christine Pinault. Joints par téléphone, les Le Guennec, de leur côté - soit naïveté, soit calcul -, semblent découvrir l'importance de l'affaire et affirment ne "pouvoir rien dire". L'enquête est ouverte.